Chapitre 9
Jan 14, 2015
« Mais, que…
- GUIPSY ! hurla Agalime. Protège Eléu ! »
Comme si son cri avait sonné un signal pour les hommes, huit d’entre eux bondirent sur Agalime et Rathure, tandis que les quatre restants fondaient sur Guipsy et Eléu. Cette dernière resta paralysée, mais ce ne fut heureusement pas le cas de Guipsy. Sans même prendre la peine de leur faire face, le jeune homme leva les bras au niveau de sa tête et ferma les yeux : aussitôt, les quatre assaillants tombèrent à terre en se tenant le crâne et en poussant des hurlements de souffrance. Guipsy n’attendit pas qu’ils reprennent leurs esprits. Il attrapa le bras d’Eléu, restée bouche bée, et l’entraîna au-dehors au pas de course.
« Et les autres ? demanda-t-elle en haletant tandis qu’ils débouchaient dans la fraîcheur du soir.
- Ne t’inquiètes pas pour eux, répondit Guipsy sans ralentir l’allure. C’est après toi qu’ils en ont.
- Précisément. »
Guipsy pila net. Devant eux, un homme venait d’apparaître, tout de noir vêtu, un bonnet de fourrure masquant son visage dans les ombres. En voyant la silhouette indistincte du nouvel arrivant, Eléu sentit un frisson la parcourir.
« Tu connais le théorème des ninjas, n’est-ce pas Guipsy ? demanda l’inconnu d’une voix feutrée. En groupe, ils sont aisés à vaincre, mais un par un, ils sont redoutables.
- Que veux-tu à Eléu ? demanda Guipsy en la poussant derrière lui, protecteur.
- Mais la même chose que vous voyons ! Qu’elle sauve le monde… ou plutôt non, qu’elle sauve le monde après s’être assuré que tous les clans seront vaincus… et qu’elle m’aide à recouvrir le monde de neige et de glace.
- Tu veux transformer le monde à l’image du domaine des rhüs ! Je ne te laisserai pas faire.
- Fort bien. Battons-nous en ce cas. »
Et, dans un geste leste, le dénommé Nekolas retira son bonnet et le jeta négligemment de côté. Il avait l’apparence d’un jeune homme de l’âge de Guipsy, mais de son être et sa peau blanche émanaient un froid qu’Eléu pouvait sentir même à la distance à laquelle elle se trouvait. Frissonnante, elle fit un pas en arrière.
La gemme sur le front de Guipsy se mit à luire d’une lumière quasi insoutenable, illuminant les alentours d’un éclat violet. Soudain, il disparut. Surprise, Eléu fit un nouveau pas en arrière. Elle était à présent seule face à Nekolas : pourtant ce dernier ne paraissait pas s’intéresser à elle : un petit sourire au coin des lèvres, il scrutait les alentours comme s’il pouvait y voir quelque chose qui échappait au commun des mortels.
« Pas mal le coup de l’invisibilité, dit-il d’une voix calme, mais malheureusement ça ne suffira pas. »
Soudain, une lueur blanche se mit à émaner de son corps, à la manière de flammes intangibles. La température chut brutalement, et Eléu se retrouva à trembler de froid en l’espace de quelques secondes : ses doigts se mirent à geler et son haleine se transforma en buée. Frigorifiée, elle referma ses mains sur ses bras, dans l’espoir dérisoire de se réchauffer. Ce fut à cet instant que Guipsy réapparut, à quelques pas de Nekolas, tremblant lui aussi de ce froid surnaturel. Avec un sourire, Nekolas s’avança vers lui sans se presser.
« Eh oui, commenta-t-il d’une voix doucereuse, le froid ralentit le cerveau et les capacités psy. Il est impossible pour toi de maintenir ton invisibilité dans ces conditions. »
Sans lever la tête, Guipsy fouilla frénétiquement dans son sac et en sortit une fiole qu’il déboucha et avala d’une rapide gorgée. A cet instant, Nekolas dégaina une immense pique qu’il portait dans son dos, et la leva en l’air, prêt à frapper.
Eléu poussa un hurlement.
Le bras de Nekolas s’arrêta.
Les yeux écarquillés, ce dernier fixait Guipsy qui s’était redressé, et lui faisait à présent face sans trembler.
« Mais… c’est impossible…
- Tout comme toi, j’ai découvert que l’alcool réchauffait le corps et démultipliait les capacités du cerveau, fit Guipsy. Rends-toi, Nekolas, tu es… »
Brusquement, et sans aucun signe avant coureur, Guipsy se plia en deux, l’air de souffrir le martyre.
« Non… balbutia-t-il. Cette fiole, ce n’était pas de la vodka… c’était…
- Du rhum, acheva Nekolas qui avait retrouvé sa liberté de mouvement. Intéressant. Ton organisme ne le supporte pas ? »
Guipsy tomba à genoux, le visage congestionné par la douleur, la gemme sur son front redevenue mate. Nekolas lui jeta un regard dédaigneux, et se tourna vers Eléu, toujours tremblante de froid.
« Je crois qu’il est temps pour nous de faire une petite balade. Qu’en dis-tu ? »
Il ne lui laissa évidemment pas le temps de répondre. En trois enjambées, il fut près d’elle et la saisit par la taille.
« Mettons les voiles », lui sussurra-t-il à l’oreille.
Ses mots n’avaient pas fini de résonner aux oreilles d’une Eléu pétrifiée qu’une violente bourrasque se leva soudain, secouant les arbres alentours et frappant de plein fouet les trois protagonistes de la scène qui vacillèrent.
« Que… qu’est-ce que c’est que ça ? s’exclama Nekolas en faisant volte-face, à l’affût du responsable.
- Coucou », lui répondit une voix qui venait d’en haut.
Eléu et Nekolas levèrent la tête de concert, et écarquillèrent les yeux en coeur. Nonchalamment perché sur un arbre à cinq mètres de hauteur, un jeune homme les regardait avec un petit sourire. Le vent violent qui soufflait jouait avec les boucles de ses cheveux qui faisaient penser à la laine d’un mouton…
« Sebas ! hurla Eléu en tentant d’échapper à la poigne de son ravisseur.
- Qui es-tu ? cria Nekolas à son adresse, en resserrant sa prise sur sa prisonnière.
- Je m’appelle Sebas. Enchanté. »
Et il sauta de son perchoir. Eléu n’eut même pas le temps de crier d’angoisse : Sebas chuta doucement, comme porté par une petite brise serviable. Tout autour de lui, la tempête continuait de faire rage.
« Un venteux… murmura Nekolas. Mais c’est impossible…
- Rends-toi Nekolas, dit Sebas en s’avançant vers lui d’un pas tranquille. Tu es cerné.
- Je confirme. »
Eléu tourna la tête, le coeur explosant de joie. Derrière eux, Agalime et Rathure se tenaient en position de combat, prêts à charger. Du sang coulait de diverses blessures sur leur visage et leurs bras, mais ils semblaient en pleine forme. En les voyant, Nekolas blêmit encore davantage si c’était possible.
« Vous avez vaincu toute mon armée de ninja rhüs… comment est-ce possible ?
- Le théorème des ninjas mon cher Nekolas, répondit Agalime avec un sourire froid, le théorème des ninjas.
- Hmpf, fit Nekolas dédaigneusement, quelle bande d’incompétents ! Très bien, il semblerait que je sois vaincu cette fois… mais soyez sans crainte : je reviendrai. »
Comprenant ce qu’il avait en tête, Rathure se précipita sur lui. Mais il était trop tard. Nekolas se saisit de deux boules accrochées à sa ceinture, les jeta au sol et disparut dans une explosion de fumée blanche, accompagné d’un rire machiavélique qui s’estompa peu à peu.
« Eléu ! s’exclama Sebas.
- Je… je suis là ! réussit-elle à dire entre deux quintes de toux, en s’extirpant de la fumée.
- Que l’Oie soit louée ! Tu n’as rien ?
- Toi ! s’exclama Rathure à l’adresse de Sebas, tout en prenant Eléu par le bras et la tirant en arrière. Ne t’approche pas d’elle ! »
Saisi, Sebas pila net. D’un pas trébuchant, Guipsy vint se placer à côté de Rathure, visiblement toujours malade mais néanmoins dans une position équivoque de protection.
« Qui es-tu ? demanda Rathure froidement. Tu ne peux pas être un venteux, c’est impossible.
- Et pourtant, intervint Agalime en se plaçant entre ses compagnons et le jeune homme, c’en est bien un.
- Agalime ! Tu connais cet homme ?
- Oui, il est mon ami depuis de longues années… et il s’agit du dernier venteux à fouler cette terre. »
La stupéfaction laissa ses deux compagnons sans voix. Sebas, lui, se mit à regarder dans le lointain d’un air meurtri et philosophique, comme s’il se remémorait de douloureux souvenirs.
« Ce jour là, commença-t-il d’une voix basse et feutrée, j’étais allé aux put…
- On n’a pas le temps d’écouter tes histoires, coupa Agalime impatiemment (alors que ses deux compagnons semblaient très intéressés). Les ninjas qu’on a rétamé dans l’auberge peuvent se réveiller d’une minute à l’autre. Prenons un cheval dans l’écurie et partons sans attendre.
- Et Wajanatrabu ? demanda Guipsy.
- Je lui ai laissé de l’argent pour les chevaux et les dégâts, ne t’inquiètes pas.
- Décidément Agalime, ta générosité et ta bonté font de toi la plus belle femme que j’aie…
- J’ai pris dans ta bourse, Rathure.
- QUOI ?! »
Sans plus de discussions, les cinq compagnons se rendirent aux écuries et choisirent chacun un cheval. Manque de bol, il n’y en avait plus que quatre. Sebas dut se contenter d’un double poney.
« Pas grave, assura-t-il en enfourchant les deux à la fois. Avec mon vent pour les accélérer, ils iront aussi vite que vos chevaux. Toi je vais t’appeler Ba, et toi tu seras Bou. En avant ! »
Agalime leva les yeux au ciel, mais fit signe à Eléu de talonner son cheval elle aussi. Les cinq cavaliers jaillirent de l’écurie, et galopèrent en direction du sud. Alors que Eléu, penchée sur son cheval, s’appliquait à rester en selle, une voix retentit dans son esprit.
« Eléu, ça va ?
- Guipsy, c’est toi ?
- Quand on est à cheval, communiquer par télépathie est plus simple non ?
- Oui… ça va, j’ai juste un peu peur.
- Ne t’inquiètes pas, nous allons prendre soin de toi. Dis-moi… tout à l’heure, c’est toi qui a arrêté le bras de Nekolas ?
- Non, je ne crois pas… je ne vois pas comment j’aurai pu faire. Ce n’était pas toi ?
- Je vois… oublie cette question.
- Dis-moi Guipsy… qu’est-ce que c’est que ces rhüs ?
- Une ethnie du clan de la Glace. Nous t’expliquerons ça plus en détails quand nous nous arrêterons pour bivouaquer, d’accord ?
- D’accord… et cette histoire de venteux ?
- Oh, ça… et bien, c’est une longue histoire… Une histoire dont moi et Rathure aimerions bien savoir la fin.
- Raconte moi au moins le début s’il te plaît.
- Très bien. Tout a commencé le jour où le maître du Vent a décidé d’attenter à la vie des différents maîtres de clan… »