Chapitre 18

Nov 20, 2018

Après trois jours de marche dans les marécages, et quatre dans les plaines de sable noir du domaine du feu, Bleubête, Clémentus, Louig, Olvin et Felouis arrivaient en vue de la cité du feu.

« Bienvenue à la forteresse de fer ! »

Devant eux se dressait une immense citadelle aux murs de pierre noire, hérissés de pointes en fer forgé. Les innombrables cheminées crachaient une épaisse fumée noire, éclairée de rouge orangé par le dessous.

« C’est vachement sinistre, quand même.

- Ca manque de bleu, fit Olvin.

- J’aurai pas dit mieux.

- Ca manque de verdure, surtout.

- Et on dit que c’est moi qui râle le plus. Figurez-vous qu’au départ ça devait s’appeler la citadelle d’argent et être illuminé de flammes multicolores, mais que le ministérium de l’architecture a estimé que quand on habite dans un désert de cendre et de sable noir avec des lacs de lave, le seul style esthétique approprié c’est une forteresse gothique aux murs noirs. Ils appellent ça le style “seigneur des ténèbres”.

- Ironique. Il pouvait éclairer les autres mais pas lui-même, murmura Clémentus.

- Et du coup c’est sinistre, renchérit Louig.

- Mais on a des plantes, regardez là-haut sur la colline. »

En haut d’un talus se dressait un verger d’arbrisseaux noirs comme du charbon.

« Ils sont complètement calcinés, tes arbres.

- Mais non, ils poussent comme ça. Ils donnent même des fruits. Maintenant arrêtez de vous plaindre et avancez, on est presque arrivés. »

Quelques heures plus tard, alors que Olvin et Louig commençaient à arriver à court de remarques architecturales, les immenses battants de la porte principale s’ouvraient devant eux. Les portes étaient endommagées, et couvertes de profondes marques laissées par des griffes immenses.

« On dirait qu’un dragon s’est attaqué aux portes.

- La némésis de Felouis doit être dans le coin, je suis surpris que le château ne soit pas assiégé.

- Il a probablement réalisé qu’on ne rentre pas comme ça chez nous, dit Felouis en passant le seuil.

- C’est quel dragon d’ailleurs ? demanda Bleubête.

- ON NE PRONONCE PAS SON NOM, intervint nerveusement le pyromancien alors que Clémentus était sur le point de répondre.

- Pourquoi, ça porte malheur ?

- C’est plus compliqué que ça.

- C’est pas si compliqué que ça, corrigea Olvin. C’est juste que…

- Maître Schlaque ! Je voulais vous voir ! l’interrompit Felouis en hélant un homme âgé en toge à carreaux. C’est le maître des messages de la forteresse, dit-il aux autres.

- “Maître” Schlaque ? Le titre de maître n’est pas réservé au maîtres élémentaires ? demanda le cryomancien intrigué.

- Normalement oui, mais ici on s’appelle tous maître, c’est la coutume. À part pour ceux qui ont un grade précis, bien sûr.

- Même le maître du feu, du coup ? Chez nous le maître de la plante on l’appelle juste maître, ça porte pas à confusion ici ?

- Je pensais que vous l’appeliez vieille branche, moi.

- Le maître du feu est appelé seigneur du feu ici. Ca distingue du reste, et ça colle bien au style “seigneur des ténèbres” de la forteresse, expliqua Felouis, visiblement heureux d’avoir réussi à changer de sujet.

- Vous pouvez vraiment pas faire comme tout le monde, hein ?

- Comment puis-je vous aider, maître Felouis ? dit le vieillard qui venait d’arriver à leur hauteur.

- Est-ce que vous avez reçu mes corbeaux, maître Schlaque ?

- Et vous communiquez avec des corbeaux, commenta Olvin. Pourquoi ça ne me surprend pas ?

- Je suppose que c’est toujours cette histoire de “seigneur des ténèbres” ? suggéra Bleubête.

- Nous avons bien reçu vos messages. Nous avons préparé nos défenses, et mis l’élémentaire à l’abri.

- Le dragon a attaqué ?

- Oui, mais il s’est retiré il y a quelques jours.

- Il attend sûrement les autres avant d’attaquer à nouveau.

- On a des nouvelles des autres et de l’élue ?

- J’ai envoyé deux officiers à leur rencontre. »

Felouis réfléchit quelque secondes et tourna un regard inquiet vers le maître des messages.

« Attendez, vous avez envoyé qui ? »


«J’ai entendu un bruit, pas vous ?»

Cela faisait déjà un jour et une nuit que le petit groupe avait semé Cordokoo, mais Sebas était resté tendu tout ce temps. Ils avaient continué leur route au milieu des rochers, en avançant vers le Nord autant que possible.

« Mais puisqu’on te dit qu’on l’a semé ! Tu me stresses avec ta paranoïa !

- On l’a semé, mais j’ai l’impression qu’on s’est semés aussi…

- On en serait pas là si on avait la carte.

- Pour la centième fois : je ne sais pas comment reprendre forme humaine. Et puis on n’a qu’à marcher vers le volcan à l’horizon et c’est réglé.

- Entre les rochers de plus en plus gros qui nous barrent la route et les nuages de cendres, ça va être de plus en plus compliqué de se rapprocher ! »

Alors que les apprentis entamaient leur huitième dispute de la journée, Nekolas se tenait à l’écart en guettant l’horizon. Il avait escaladé l’un des rochers alentour et essayait de repérer le soleil malgré la noirceur du ciel. Il remarqua alors deux silhouettes qui sautaient de rocher en rocher et qui venaient dans leur direction. L’une était grande, l’autre petite, et elles se déplaçait avec assurance sur le terrain accidenté. Les deux portaient des capes rouges et noires qui dissimulaient leur visage à la vue du ninja.

Nekolas descendit du rocher en quelques bond et atterrit à côté de Rathure, qui se plaignait de l’absence d’auberge dans un pays aussi sec.

« Deux personnes se rapprochent.

- Ah, ils se sont enfin décidés à venir nous chercher ! exclama Pioutou, heureux que la question de l’absence de carte puisse être résolue.

- Ca dépend, ils sont peut-être hostiles.

- À cette distance, c’est difficile à dire.

- Logiquement, ce sont des membres du clan du feu, donc des alliés, précisa Agalime.

- Felouis est notre allié, ça ne l’empêche pas d’être hostile, remarqua Rathure.

- Tu marques un point.

- Reste à savoir si tous ses compatriotes sont du même tempérament.

- Tu veux dire un tempérament… de feu ? risqua Pioutou, malgré le regard désaprobateur d’Agalime.

- Bon, en tout cas il vaut mieux établir une position défensive, au cas où- commença Nekolas avant d’être interrompu par une voix venant de plus haut.

- Un peu tard pour ça, non ? »


« C’est encore loin ? »

Après cinq heures d’escalade sur le flanc du volcan, Olvin avait les bottes et les poumons remplis de poussière. Il avait soif, faim, et envie de dormir. Et le temple du feu n’était toujours pas visible.

« Faut vraiment être taré pour construire à une altitude pareille.

- Hé, je te permets pas ! Chez nous, les montagnes sont encore plus hautes.

- Et vous êtes encore plus tarés.

- T’as de la chance qu’il fasse trop chaud pour utiliser ma magie…

- Économisez votre souffle, leur dit Bleubête au travers de son écharpe. Plus vous parlez, plus vous aurez soif.

- Laisse, môssieur Olvin et môssieur Louig trouvent qu’il fait trop chaud pour se couvrir, répondit Felouis, qui portait un foulard par-dessus le visage.

- Ca ne serait pas un problème si le temple était au pied du volcan… », grommela Olvin en se couvrant la bouche.

Clémentus vérifia que le chat et l’écureuil étaient bien à l’abri dans son sac. Olvin portait le poulpe, élémentaire de l’eau, dans sa sacoche. Le lapin était bien à l’abri dans le manteau de Louig, et la chouette dans celui de Felouis.


Au sommet du rocher le plus proche se tenaient deux individus, portant une tenue du domaine du feu. L’une était une petite femme au cheveux roux, portant une tunique rousse agrémentée de motif noirs en forme de renards. L’autre, beaucoup plus grand, était un homme mince à la peau noire, qui portait une veste noire et rouge très élégante. La première affichait un air sombre et le second un large sourire.

« Vous avez de la chance qu’on soit vos alliés, sinon vous seriez déjà morts, fit la femme en les dévisageant.

- Vous venez du domaine du feu ? » demanda Eléu.

L’homme essaya de lui répondre, mais fut immédiatement coupé.

« Oui, nous sommes les assistants de Fel-

- Noooope ! Dans ses rêves !

- Bon alors, je suis Fumarvin, le bras droit de Feloui-

- Non mais arrête, toi non plus t’es pas son subordonné. T’es le capitaine de la garde de la forteresse, c’est tout.

- Maintenant que tu le d-

- Il t’a baratiné, faut que tu arrêtes d’écouter cet abruti.

- Si je suis capitai-

- T’es vraiment crédule, mon pauvre vieux.

- Tu vas vite arrêter DE ME COUPER LA PAROLE, CAPORAL !

- Pardon, mon capitaine !, fit la jeune femme en se mettant instantanément au garde-à-vous.

- Je disais donc, dit-il en se tournant vers Eléu, je suis Fumarvin, le capitaine de la garde de la forteresse noire, et voici le caporal Feuxy. Nous avons reçu l’ordre d’escorter l’élue jusqu’aux élémentaires. »

Il sortit d’une poche de sa veste un papier portant un sceau de cire orange.

« Parfait, on vous suit, dit Pioutou.

- Les… sous-fifres qui accompagnent l’élue peuvent nous suivre, dit Fumarvin en regardant le papier, mais leur sécurité est d’une priorité secondaire.

- Je vais lui en donner, du sous-fifre, fit Rathure en serrant les dents.

- Laisse, c’est sûrement Felouis qui a écrit le message. En fait, j’en suis même certain, dit Guipsy en faisant un clin d’oeil à une caméra invisible. C’est entendu, nous sommes prêts à vous suivre. »

Fumarvin descendit du rocher et fit signe à Eléu de l’accompagner à travers le dédale de pierre. Les autres les suivirent un à un, et Feuxy ferma la marche, en diffusant un nuage de cendre grise derrière elle. Au bout de quelques minutes, ils avaient tous disparus dans la fumée.


Le temple du feu se dressait au milieu du cratère du volcan, accessible uniquement via un énorme pont de pierre. Son architecture était en parfaite harmonie avec celle de la forteresse : de la pierre noire et du fer forgé, de hautes tours couvertes de gargouilles et des créneaux affutés.

Clémentus, Bleubête et Felouis poussèrent les larges portes de fer pendant que Louig et Olvin crachaient le reste de leurs poumons par terre. Un mur d’obscurité se présenta devant eux. Felouis claqua des doigts, et alluma d’une étincelle une matière étrange posée dans une vasque. Les flammes se répandirent dans d’autres vasques, d’abord d’un côté de la salle, puis de l’autre, et révèlerent un impressionnant hall de marbre noir. Des formes géométriques agrémentées de runes sculptées dans le sol convergeaient vers le centre de la pièce.

Olvin poussa un sifflement d’approbation.

« Hé bé, c’est bien plus classe ici.

- Et il fait meilleur dedans que dehors, ajouta Louig.

- Les murs de pierre conservent la fraîcheur, et les runes canalisent la chaleur du volcan dans des cristaux sacrés sous nos pieds.

- L’élémentaire du feu est ici ? demanda Clementus.

- C’est quel genre d’animal ? s’enquit Bleubête.

- Un coq. Il se cache sûrement derrière une colonne. Petit, petit, petit…

- Elle est où la poulette ? »

Ils entendirent alors des cliquetis résonner dans le hall. Derrière Louig, un magnifique coq orange picorait le sol de marbre.

Felouis le prit dans ses bras et commença à le caresser.

« Je vous présente… le colonel, dit-il en le soulevant fièrement devant lui.

- Vous avez vraiment un problème de noms dans ce pays…

- Il fait techniquement partie de la hiérarchie du royaume, et il porte le grade le plus élevé après le seigneur.

- Bon, je vais sortir les autres, ils vont finir par étouffer, dit Clémentus en laissant le chat et l’écureuil sortir de son sac.

- J’ai peur que le poulpe se dessèche un peu vite ici, s’inquiéta Olvin.

- Il peut bien changer de forme, non ?

- Oui mais j’aime bien les mollusques !

- Je me disais bien qu’il y avait un air de famille, commenta Felouis.

- Dis-lui de se changer en autre chose, et arrête de râler.»

Olvin attrapa le poulpe et le sortit de sa sacoche. Celui-ci se transforma en gelée bleue presque liquide, puis se resolidifia en prenant la forme d’un gros homard couleur saphir.

«Il ne nous reste plus qu’à attendre les autres, dit Louig en serrant le lapin contre sa poitrine.

- Ils sont tout proches. Je les sens à travers la terre. Clémentus avait posé sa paume sur le sol et fermé les yeux.

- Tu peux faire ça ?

- Il peut faire ça.

- Je suis pas sûr que ce soit eux, en fait. Ils sont trop nombreux.

- En comptant les deux abrutis qui les amènent ici, ils devraient être six, estima Felouis.

- Sept en comptant Beeth, corrigea Olvin.

- Huit avec l’élémentaire de foudre, ajouta Louig.

- Je compte une douzaine de battements de coeur, commenta le planteux.

- Ouais, enfin vous vous étiez quatre à la base… dit la télépathe d’une petite voix.

- Ils sont au niveau du pont. »

Louig et Felouis reposèrent les élémentaires au sol, dégainèrent leurs armes et avancèrent en direction de la porte.

« Je préfère ne pas prendre de risque. »

La porte s’ouvrit lentement, et dans l’entrebâillement apparu le sourire de Fumarvin.

« Bonjour maître !

- Ah, Fumarvin, ça fait plaisir de te revoir ! », exclama le pyromancien en rengainant son épée et en avançant pour lui serrer la main.

Le capitaine de la garde le pris au dépourvu avec une accolade et le souleva du sol. Derrière lui entra Rathure, qui remarqua immédiatement la hache levée de Louig.

« C’est sympa comme accueil, dis-donc ! »

Derrière lui entrèrent Eléu, Guipsy, Sebas, Agalime, Nekolas et enfin Feuxy. Guipsy vint serrer la main de Bleubête, alors qu’Olvin en faisait autant avec Arthur et qu’Eléu allait saluer Clémentus.

« Vous avez adopté des animaux errants ? ricana Felouis en pointant du doigt Sebas, Nekolas… et Feuxy.

- Je t’emmerde », répondit cette dernière en faisant d’une main le salut traditionnel du domaine du feu, un doigt dressé comme une flamme au milieu d’un poing fermé.

« Ils se sont fait des alliés sur le chemin, répondit Fumarvin. Voilà Sebas et Nekolas.

- Tu les connais ?

- Maintenant oui, fit le capitaine avec un clin d’oeil.

- Et moi, je sens le purin ? piailla Pioutou, perché sur l’épaule de Sebas.

- Ouah, il parle ! exclama Olvin.

- Et voilà Pioutou. Il est… coincé dans cet état depuis plusieurs jours.

- Hein, c’est pas l’élémentaire de la foudre ? Je comprends rien.

- Oh ! exclama Eléu plus fort qu’elle ne l’aurait voulu. On l’a complètement oublié !

- Heu… hésita Guipsy. Ca m’était sorti de la tête…

- C’est une très mauvaise blague, et vous allez nous annoncer la chute, hein ?

- Pas besoin, je ne l’ai pas oublié, moi, déclara Agalime en sortant une petite gerbille de l’intérieur de sa robe.

- Tu l’avais sur toi tout ce temps ? demanda Guipsy, sceptique.

- Non, j’ai profité du voyage pour la récupérer.

- Je ne me souviens pas de ce chap…

- Peu importe les détails, l’important, c’est qu’elle soit là.

- Tu aurais pu nous le dire…

- J’ai préféré la cacher à Eléu pour ne pas l’influencer, repondit Agalime en foudroyant Felouis du regard au moment de prononcer ce dernier mot.

- Merci, j’apprécie le geste, répondit ce dernier d’un air impassible.

- Et j’en ai fait autant ! », ajouta Sebas en sortant de sa poche un petit faucon.

Olvin, Felouis, Feuxy et Fumarvin se tournèrent vers lui avec un air éberlué. Il leur fallu à peine une seconde pour comprendre qui il était et tirer leurs épées.

« Vous avez amené un venteux ici !? dit l’aquamancien, à moitié pour lui-même.

- Et c’est nous qui l’avons guidé jusqu’au temple, en plus, grogna Fumarvin.

- C’est notre allié ! expliqua Agalime, pas notre ennemi.

- Rangez vos épées, ordonna Guipsy, les yeux enveloppés de lumière magenta et le front éclairé par sa gemme.

- Tes pouvoirs n’ont pas d’emprise sur nous dans ce temple, Guipsy.

- Je ne suis pas venu ici pour me battre, mais pour accomplir la prophétie, grinça Sebas, les poings serrés.

- C’est sûrement ce que ton peuple a dit la dernière fois qu’ils ont attaqué. »

Un calme pesant s’abattit sur le temple. Tous étaient tendus, l’arme au poing ou prête à dégainer, et Eléu s’était abritée derrière un pilier.

Le silence fut rompu par un battement d’aile. Le faucon s’était posé sur la tête d’Olvin. Celui-ci se fit totalement immobile. Alors que tous les yeux de la salle étaient rivés sur lui, il sentit une matière visqueuse couler sur son épaule.

« Me dites pas que… »

La plupart des personnes présentes se retinrent, puis éclatèrent de rire en même temps. Sentant la situation se désamorcer, Eléu tenta un discret:

« On fait quoi maintenant ? »

Alors que Clémentus allait lui répondre, un rugissement inhumain fit trembler les murs.

« C’était un dragon, ça, commenta Louig en serrant sa hache.

- Non, c’était plusieurs dragons, corrigea Guipsy. »