Chapitre 11
Feb 12, 2015
« Ainsi donc, dit Eléu, Sebas est le dernier survivant d’un clan Elémentaire décimé ?
- A priori oui, répondit Guipsy.
- Pourtant, ça n’a pas l’air de beaucoup le perturber. »
Guipsy se retourna, suivant le regard d’Eléu. Sebas était nonchalamment contre un arbre, la pipe à la bouche, la fumée qui s’en échappait créant des images de lapins et de nymphes qui dansaient, les yeux dans le vague.
Ils avaient galopé toute la nuit, en s’arrêtant à peine quelques instants pour manger un morceau. Une fois de plus, les fesses d’Eléu étaient en feu. L’aube nimbait le ciel de sa pâleur grisâtre, sans que le matin ne soit encore là. Ils venaient de s’arrêter à côté d’un petit village miteux qui n’apparaissait sur aucune carte et dont les rues résonnaient d’un silence de mauvaise augure. Agalime et Rathure s’étaient proposés pour aller jeter un œil tandis que Sebas et Guipsy restaient en arrière pour protéger Eléu. Nul ne doutait que le terrible Nekolas et sa horde de ninjas rhüs les suivaient à la trace en ce moment même. Tous ses sens psychiques en éveil, Guipsy analysait l’intégralité des pensées qu’ils percevaient autour de lui ; mais pour la majorité, il s’agissait de « noisette noisette noisette » « croâ croâ » et « cui cui cui », ce qui n’avait rien de foncièrement menaçant.
Pour passer le temps pendant la chevauchée, il avait raconté à Eléu toute l’histoire du clan du Vent : comment Dolf Tleri, le maître du Vent de l’époque, avait décidé de prendre le contrôle de tous les autres domaines en tendant une embuscade aux autres maîtres. Il avait été vaincu, non sans avoir eu le temps de tuer les maîtres du clan du Feu et de Foudre. Une véritable guérilla avait ensuite été lancée par l’intégralité des Elémentaires pour massacrer l’intégralité des membres du Vent. Les derniers survivants du Vents s’étaient réunis pour lancer un sort coupant tous types de vents sur le domaine du Feu et de la Foudre, avant de se faire massacrer. D’après les réactions de Rahure et Guipsy en voyant Sebas, tous deux pensaient que le génocide avait été total.
« Et, du coup, les domaines du Feu et de la Foudre sont devenus désertiques ? Demanda Eléu.
- Oui, sans vent pour transporter les graines, la flore a disparu en l’espace de quelques années. Leurs domaines sont devenus Désolation et Cendre.
- Agalime devrait détester Sebas non ?
- Tu sais Eléu… parfois la vie n’est pas aussi simple qu’elle paraît. »
Eléu lança à Guipsy un regard blasé. Leur conversation ô combien philosophique fut interrompue par Agalime et Rathure qui revenaient de leur séance d’exploration.
« Je tiens à préciser qu’on est tombés dans un sacré trou paumé, fit Rathure en s’asseyant et en enlevant ses bottes, laissant apparaître deux larges pieds un peu noirs.
- A l’orée du désert ce n’est pas étonnant, crétin, dit Agalime d’un ton exaspéré en s’éloignant prudemment des pieds odoriférant.
- Oh ! Tu te calmes !
- Et sinon, intervint Guipsy avec une infinie patience, qu’avez-vous vu ?
- Eh bien tu vas rire…
- Ça j’en doute, marmonna Agalime entre ses dents.
- … mais il y a plein d’affiches avec la tête d’Eléu collées sur les murs de la ville.
- … Pardon ?! Hoqueta Guipsy, incrédule.
- Ça ne fait rien, dit Sebas d’un ton rassurant. Nous n’avons qu’à la contourner.
- C’est impossible, le coupa Agalime. Nous avons besoin d’une carte nous indiquant le chemin jusqu’à l’oasis. Sans ça, nous risquons de marcher des jours durant dans le désert et d’épuiser nos réserves d’eau.
- Comment ça, d’eau ? Firent Rathure et Sebas en choeur.
- Bande d’alcooliques ! Vous ne croyez tout de même pas qu’on va emporter autre chose dans le désert.
- Je tiens à préciser, s’indigna Rathure, qu’à cause de ma malédiction, si je ne bois pas de bière régulièrement, je meurs.
- Moi c’est juste que j’aime pas l’eau, renchérit Sebas.
- Argument accepté pour Rathure, pas pour Sebas.
- Je suis un homme maltraité.
- Au final, le problème ne se pose pas, intervint Guipsy. On fait la même chose : un groupe pour se procurer la carte et les provisions dans la ville, un autre pour protéger Eléu.
- Et un groupe pour aller au bordel ?
- Sebas, est-ce qu’on peut arrêter les blagues cinq minutes ? Fit Agalime, exaspérée.
- Pardon pardon… »
Mais Eléu surprit un clignement d’oeil de Rathure vers Sebas qui indiquait qu’il n’y avait peut être là que des propositions sérieuses.
« Et donc pour les groupes… AH NON RATHURE, ARRÊTE ÇA TOUT DE SUITE ! »
Il était trop tard : une fumée noire envahit la scène, aveuglant les protagonistes. Eléu entendit Agalime hurler et des éclairs crépiter pendant quelques secondes, puis la fumée s’évapora. Apparemment, Rathure et Sebas en avaient fait de même car ils ne se trouvaient plus avec eux.
« MAIS QUELLE BANDE DE SOMBRES CRÉTINS ! Bon, Guipsy, va les chercher. C’est vraiment pas le moment qu’ils se chopent une maladie dans un bordel de campagne crasseux.
- Pourquoi moi ? Geignit Guipsy.
- Tu crois vraiment que j’ai envie de voir la scène ? Allez fonce ! »
A en juger par l’expression de Guipsy, lui non plus n’avait clairement pas envie de voir la scène, mais il s’exécuta tout de même. Agalime s’assit en soupirant et en se massant la tempe gauche.
« Je te jure, dit-elle à Eléu d’une voix fatiguée, c’est pas un cadeau ceux-là.
- Oui, mais ils sont gentils. Sebas m’a sauvé la vie plein de fois ! Et Rathure est beau. »
Agalime lui jeta un regard bizarre.
« Beau ? Tu veux dire gros j’espère ?
- Mais il n’est pas gros du tout ! S’insurgea Eléu, outrée.
- Tu sais, si tu veux plaire à Rathure, tu ferais mieux de te déguiser en steak. Là je peux t’assurer qu’il te sautera dessus.
- Mais je ne veux pas plaire à… je veux dire… bafouilla Eléu.
- Chut, tais-toi ! » La coupa brusquement Agalime.
La main sur son échine, elle força Eléu à se baisser.
« Qu’est-ce que c’est ? Murmura cette dernière.
- C’est Nekolas… il nous cherche. Pas de bruit surtout.
- Tu peux l’entendre ?
- Oui, grâce à mes pouvoirs. Attends, je vais te donner accès à ce qu’ils disent. »
Eléu sentit une petite décharge au fond de ses oreilles, et entendit un petit crépitement électrique : et, soudain, elle eut l’impression que deux hommes se trouvaient à ses côtés.
« … peuvent-ils pas se cacher ? Disait le premier.
- J’en doute, répondit le deuxième et que Eléu reconnut comme la voix de Nekolas. Maintenant que je suis passé au LRDE, mes pouvoirs sont décuplés.
- C’est vraiment une installation extraordinaire…
- Une installation extraordinaire faite par des gens extraordinaires.
- Et que faites-vous en ce moment au labo ?
- Nous sommes en train de créer des automates capables de… attends ! Je sens quelque chose… »
Et, soudain, la communication fut coupée. Eléu se tourna vers Agalime, les yeux écarquillés.
« C’est impossible enfin, protesta Agalime les sourcils froncés. Il n’aurait pas dû pouvoir détecter mon espionnage.
- C’est quoi le LRDE ? Demanda Eléu.
- D’après nos informations, c’est le Laboratoire Rhüs pour la Domination des Éléments. Nous ne savons pas trop ce qui s’y passe, juste qu’il est aux mains d’un savant génial nommé Dekim Amaille.
- Et s’il nous trouvait ?
- Alors, fit Agalime avec un sourire sinistre, je me ferai une joie de le griller à point. »
Beeth, restée avec elles à la demande de son maître poussa un gémissement apeuré.
Du côté de Guipsy, les choses n’allaient que très moyennement.
« Indiquez-moi le chemin du bordel s’il vous plaît.
- De vache. »
Guipsy dévisagea son interlocuteur, incrédule. Il s’agissait d’un homme de petite taille doté de cheveux noirs en bataille, d’une fine barbe qui surmontait sa mâchoire et d’une paire de cernes impressionnants. Il s’agissait de la seule personne présente dans la rue : adossée à une maison dans son manteau noir, il n’avait rien de rassurant mais Guipsy n’avait aucune idée d’à qui il pouvait s’adresser. Utiliser ses pouvoirs psys pour localiser le bordel lui était une idée extrêmement pénible. D’un autre côté, cet homme avait l’air bizarre.
« Tu cherches une donzelle pour passer la matinée ? Reprit l’homme avec un clignement de l’oeil. On peut s’entendre toi et moi. Je suis Pioutou, et tu ne trouveras pas meilleur informateur dans cette ville.
- Je cherche simplement le bordel pour… euh… une étude d’architecture.
- Pardon ?
- En fait, se lança Guipsy, je veux construire mon propre bordel dans mon village, mais je veux faire les choses bien. Du coup je fais le tour de tous les autres villages pour voir un peu comment ils sont construits.
- T’es vraiment un mec chelou », lui fit remarquer Pioutou.
Guipsy aurait aimé lui rétorquer qu’il ne s’était pas regardé dans une glace, mais il préféra avorter cette discussion stérile dans l’oeuf.
« Et j’aurais aussi besoin d’une carte de la région, poursuivit-il courageusement. J’ai de l’argent.
- Ah, on peut s’entendre alors ! Fit Pioutou, le visage littéralement illuminé. Approche-toi. »
Et il ouvrit son manteau, laissant apparaître une grande quantité de cartes qui y étaient accrochées.
« J’en ai plein, des cartes de la région.
- Euh, fit Guipsy qui trouvait ça diablement louche, merci. » Discrètement, il activa son pouvoir psy qui lui permettait de lire dans les pensées. L’esprit de Pioutou l’horrifia : ne s’y trouvait qu’un ramassis de blagues vaseuses et de pensées lubriques. Impossible de percer la couche pour déterminer si ses cartes étaient véridiques ou non. « Je peux y jeter un œil avant de les acheter ? Poursuivit-il en tentant de rester serein.
- Bien sûr mon pote. Tiens, prends-en une. »
Guipsy examina la carte qu’on lui tendait. Il ne savait pas vraiment à quoi elle était censée ressembler, mais à priori rien ne lui semblait choquant là-dedans.
« Elle m’a l’air bien. Combien ?
- As-tu vu ce papier de qualité, ce tracé divinement bien tracé ? Cinquante pièces d’or, c’est le minimum pour une telle œuvre d’art.
- Pardon ?! Fit Guipsy. Cinquante pièces d’or c’est le prix d’un château dans le domaine de l’eau. Tu ne crois quand même pas que j’ai une telle somme sur moi, ou même que je payerai une carte avec !
- Bon, allez, comme t’as l’air sympa et que j’apprécie les gens qui s’intéressent à l’architecture… quarante-neuf pièces d’or et quatre-vingt-dix-neuf pièces d’argent. Ça te va ? »
Après un très, très, très long marchandage, où Guipsy dut se résoudre à utiliser ses pouvoirs pour rendre son interlocuteur plus malléable, ils finirent par trouver un accord.
« Deux pièces d’argent, vendu !
- Merci, fit Guipsy avec un grand sourire. Et le bordel maintenant, cher monsieur ?
- Treizième bâtiment sur la droite. Vous pouvez pas vous tromper, ya une énorme paire de singes sur la devanture.
- Merci, et adieu.
- Au plaisir de refaire des affaires avec vous ! »
Guipsy se dirigea donc vers l’endroit indiqué. La première chose qui le frappa, ce fut effectivement les deux gros singes dessinés sur le mur de façade, dont l’apparence était au summum du mauvais goût. La seconde, ce fut que le bâtiment était à moitié détruit et que des dizaines de filles couraient en hurlant dans les décombres.
« Que se passe-t-il ici ? Hurla-t-il à une fille en l’attrapant par le bras.
- Des ninjas sont apparus il y a quelques instants et ont enlevé deux de nos clients ! Glapit-elle, paniquée.
- Quels clients ? Lesquels ?!
- Ceux qui avaient demandé une dizaine de filles pour eux deux… L’un d’entre eux avait une toute petit… »
Guipsy ne lui laissa pas le temps de finir, et fit demi-tour en courant. Il avait finit par activer son pouvoir, et le sondage appliqué de toutes les personnes aux alentours ne permettait aucun doute : Sebas et Rathure avaient été enlevés par des hommes de Nekolas.