Chapitre 10

Feb 04, 2015

Quand Olvin, Felouis, Clémentus et Louig atteignirent le plateau de la butte solaire, en fin d’après-midi, ils furent surpris par le silence qui y régnait. Ils s’étaient préparés à assister au même spectacle que lors de l’attaque du clan de la Plante par Diploy : un déferlement de hurlements et de violences sans précédent. Mais devant eux, à quelques milliers de pas de distance, Ta Volana dressait ses fières murailles noires face au soleil pesant, et rien, absolument rien ne bougeait.

« C’est mort à en faire jouir un nécrophile ici…

- Louig, soupira Felouis, si tu pouvais nous épargner tes métaphores foireuses et systématiques ça me ferait des vacances.

- Quoi ! J’aime que mes paroles soient imagées.

- Change de thème d’image alors.

- C’est calme comme un eunuque dans un bordel ?

- J’abandonne… »

La vérité, c’était que tous étaient inquiets. Clémentus avait discuté avec l’Elémentaire de Plante, temporairement l’Ecureuil, et l’avait prié de se rendre discrètement au Mont Bicêtre et de s’y cacher en attendant la venue des autres Elémentaires. Apparemment, l’Ecureuil avait rouspété, mais il avait finalement accepté la nécessité de se cacher et était parti la veille au soir. Depuis, les compères s’étaient psychologiquement préparés, au fur et à mesure qu’ils s’approchaient du plateau, à assister à un spectacle de désolation ou de bataille. Le calme absolu qui régnait sur le plateau les avait déstabilisés. A présent, ils avançaient en silence en direction de Ta Volana, perplexes.

« Qui est le prochain dragon sur la liste ? Demanda Clémentus pour briser le silence.

- Si j’en crois ce que m’a raconté mon cousin, le dragon Maliboulé. Une belle saloperie si voulez mon avis.

- Pourquoi s’agit-il du Némésis du clan de l’Ombre ?

- Le principe du combat chez le clan de l’Ombre c’est d’être discret et rapide n’est-ce pas ? Et bien Maliboulé est capable de provoquer des nausées et des vomissements atroces à trente pas autour de lui. Du coup, il est impossible de s’approcher de lui sans être automatiquement mis hors jeu. Et bien évidemment, il est insensible aux flèches.

- Ce devrait être jouable pour nous, fit remarquer Clémentus. En l’attaquant à distance avec nos pouvoirs.

- Pour ça il faudrait déjà qu’il soit quelque part… »

En arrivant au pied des murailles, ils comprirent que quelque chose n’allait vraiment pas. Nulle figure humaine ne paraissait sur les remparts, pas un bruit, uniquement celui du vent qui allait s’écraser sur les hauts murs de pierre. Les quatre compagnons scrutèrent le sommet des murailles jusqu’à en avoir mal à la nuque, mais sans rien apercevoir de vivant.

« C’est silencieux comme…

- Finis ta phrase et je te crame la gueule, coupa calmement Felouis.

- J’imagine que le seul moyen de comprendre ce qu’il se passe c’est d’y entrer ? Intervint Olvin pour empêcher Louig de rétorquer.

- Peut être que Maliboulé a déjà annihilé l’intégralité des habitants, dit Clémentus avec une grimace.

- J’en doute, répondit Olvin en fronçant les sourcils. Les habitants de l’Ombre sont connus pour leur ruse et leur discrétion. Jamais ils n’auraient pu se faire massacrer intégralement comme ça. Enfin j’espère…

- De toute manière nous devons entrer pour le savoir, fit Louig en haussant les épaules.

- Effectivement, dit Clémentus. Reculez. »

Le planteux marmonna des paroles indistinctes et, soudain, une racine géante creva le sol , juste en dessous des pieds de Louig qui ne s’était évidemment pas écarté, et s’éleva à l’assaut des remparts à une vitesse impressionnante, emportant avec elle le glaceux. Après un soupir d’exaspération et un facepalm, Clémentus leva les yeux vers les sommet de la racine qui avait à présent dépassé les remparts.

« Qu’est-ce que tu vois ? Cria-t-il.

- Un sacré merdier, entendit-il la voix de Louig lui répondre en retour. Il y a une sorte d’ombre étrange qui plane à l’intérieur de la ville. Et il n’y a pas âme qui vive. »

L’un après l’autre, les trois hommes restants enfourchèrent la racine et vinrent rejoindre Louig au sommet des remparts ; puis sur le sol de la cité (Mr Lapineur fut laissé à l’extérieur pour les retrouver lorsqu’ils ressortiraient). Comme l’avait dit Louig, le silence et la désolation régnaient, et la lumière paraissait ne percer que très difficilement l’ombre qui recouvrait la cité. Les compagnons étaient plus que perplexes.

« Olvin, déclara Felouis, tu es le seul à t’être déjà rendu à Ta Volana donc je suggère que tu prennes la tête des opérations.

- D’après ce que je sais, l’Elémentaire de l’ombre se trouve dans une caverne creusée dans la butte au centre de la ville. »

D’un geste vague, Olvin désigna une élévation de terrain qui pointait au-dessus des constructions non loin devant eux.

« Je doute qu’on l’y retrouve mais qui sait ? Autant commencer les recherches par là.

- Si j’étais vous, fit une voix douce derrière eux, je m’en abstiendrais. »

Surpris, ils firent volte-face. Emergeant de l’ombre sans qu’aucun d’entre eux l’ait sentie approcher, se tenait une jeune femme à la chevelure noire et aux yeux en amande dont les iris verts les fixaient avec curiosité. Olvin le premier reprit ses esprits.

« Enchanté, dit-il en s’approchant de la femme et en déployant son sourire le plus charmeur. Je m’appelle Olvin. Et vous êtes ?

- Mon nom est Simoris, répondit-elle tranquillement. Et si je peux vous donner un conseil, ce serait de tourner les talons et de fuir rapidement.

- Que veux-tu dire ? Intervint Felouis, agacé qu’Olvin ait pris l’initiative.

- Vous avez tous l’air de combattants émérites, mais aucun d’entre vous ne pourra lutter contre Maliboulé.

- Ainsi, il se trouve bien ici ?

- Bien sûr. Il cherche le Chat, comme vous apparemment. Mais nous avons plus d’un tour dans notre sac, et voilà deux jours et deux nuits que les habitants survivant se cachent et cachent notre Elémentaire. Maliboulé finira par le trouver, bien sûr, mais nous espérons que d’ici là de l’aide sera venue de l’extérieur.

- Vous pouvez abandonner cette idée, dit gravement Clémentus. Toutes les cités élémentaires sont aux prises avec les dragons, et toutes sont en train de perdre la lutte.

- Oh. » Contre toute attente, Simoris n’avait pas l’air plus concernée que ça par la nouvelle. Elle se contenta de les fixer toujours avec curiosité.

« Nous sommes en quête de l’Elémentaire d’Ombre, reprit Olvin après qu’un petit temps se fut écoulé. Nous devons le tirer de là et l’emmener avec nous pour organiser la résistance.

- Vous n’y parviendrez pas, répondit Simoris. Si vous parvenez à le trouver, c’est que Maliboulé le trouvera aussi – et dans ce cas là, il n’attendra pas avant de lui faire la peau.

- Et si nous vainquons Maliboulé ?

- Voila qui me semble improbable mais si vous le souhaitez… après vous, car le voilà. »

Les compères eurent à peine le temps de hausser les sourcils : voici que Simoris faisait volte-face et se fondait dans les ombres, cependant qu’un sifflement de cauchemar suivi d’un bruit de frottement éclataient soudain à leurs oreilles. Émergeant d’entre deux bâtiments, immense et blafard, apparut le corps grotesque d’une créature qui ne pouvait être que Maliboulé. Tous quatre écarquillèrent les yeux d’effroi : le dragon ressemblait plus à un monstrueux serpent d’un blanc de cadavre qu’à un réel dragon. Dénué de membre, mis à part ses deux ailes squelettiques et parchemineuses qui flottaient dans le vent, sa tête volumineuse à mi-chemin entre le rapace et le reptile oscillant au rythme de ses reptations à travers la cité en ruine. Sur l’ensemble de son corps à l’aspect visqueux étaient éparpillés des cratères recouverts d’une membrane d’apparence squameuse. Maliboulé n’avançait pas dans leur direction mais s’ils ne bougeaient pas, il ne tarderait probablement pas à les apercevoir.

Le premier, Felouis reprit ses esprits et, se campant fermement sur ses jambes, esquissa le geste de dégainer son épée de feu. Aussitôt, Louig et Olvin se précipitèrent sur lui pour bloquer son mouvement.

« Qu’est-ce qui vous prend ? Siffla Felouis en se débattant.

- T’es pas un peu malade ? Grogna Olvin. On ne va pas engager le combat contre ce truc alors qu’on ne sait pas…

- Trop tard, intervint Clémentus qui était resté à observer le dragon. Il nous a vus. »

Et effectivement, la tête triangulaire de la bête immonde venait de se tourner vers eux, ses larges yeux bleus étincelant soudain d’une lueur malsaine. D’une torsion du cou, Maliboulé vira de direction et s’avança vers eux en rampant à une vitesse surprenante. Clémentus, Louig, Felouis et Olvin sortirent leurs armes de concert, bien décidés à vendre chèrement leur peau. C’est alors que les cratères creusés dans le corps du dragon s’ouvrirent, et se mirent à déverser un liquide blanc qui dégageait une fumée malsaine. Le liquide coula le long du corps du dragon et se mit à ruisseler sur le sol de la cité, en direction des quatre compagnons. Alors que Maliboulé était encore à bonne distance d’eux, ils sentirent brusquement une odeur entêtante les prendre au nez, puis à la gorge, suivi de la sensation de plonger la tête sous un liquide visqueux. La nausée s’empara d’eux avec une virulence étonnante, et Clémentus le premier se pencha en avant pour vomir.

« Qu’est-ce que c’est que cette horreur ? Hoqueta Louig entre deux haut-le-coeur.

- C’est pas le moment d’y réfléchir ! S’exclama Olvin qui semblait un peu mieux résister que ses comparses. Il arrive ! »

Mais aucun de ses amis ne semblait apte à faire le moindre pas. Impuissant, Olvin ne put qu’assister à la scène de Maliboulé fondant sur eux, gueule grande ouverte sur une rangée de crocs ciselés et une gorge rouge sombre…

… et s’éveilla en sursaut dans une petite pièce sombre et sentant le renfermé. Olvin bondit sur ses pieds, le cœur battant la chamade ; la vision de ses trois compagnons allongés autour de lui, apparemment indemnes – quoique inconscients – l’apaisa quelque peu. Toujours fébrile malgré tout, il s’approcha de Louig pour le secouer sans ménage.

« Debout ! Il y a quelque chose qui cloche ici ! »

L’un après l’autre, aidés par les exhortations de Olvin (et d’un peu d’eau fraîche balancée sur le visage), ils se levèrent en grommelant et en se tenant le ventre, de toute évidence barbouillés et fort mécontents.

« Où sommes-nous ? Fut la première chose que demanda Felouis. Il y a une seconde je me faisais foncer dessus par un truc affreux en vomissant mes tripes et d’un coup…

- OH ! Retentit une voix forte et sévère. Il suffit maintenant, on se CALME ! »

Tous se tournèrent en direction de la provenance de la voix : un homme caché dans l’ombre les observait, grand et l’air apparemment furieux de ce qu’ils pouvaient distinguer de son visage. Cependant, devant les regards incrédules des quatre compagnons, l’homme se recroquevilla soudain sur lui-même.

« Pardon… bredouilla-t-il d’une petite voix.

- Euh… fit Felouis un peu perplexe. Excusez-moi mais… qui êtes-vous ?

- Mais ! S’exclama alors Olvin, c’est Simon ? Simon, c’est bien toi ?

- Oui, c’est moi, balbutia le dénommé Simon d’une voix toujours aussi penaude. Simon le soumis. Enchanté.

- Qu’est-ce que c’est que ces conneries encore ? Gronda Felouis dont la patience était souvent mise à rude épreuve ces derniers jours.

- Ne haussez pas la voix dans ma maison ! Rugit Simon en réponse. VOUS VOUS PRENEZ POUR QUI ? » Felouis lui lança un regard surpris, et à nouveau : « Pardon…

- Simon est… commença Olvin avant de se raviser. Je ne sais pas si j’ai vraiment le droit de vous dire ça. Je peux Simon ?

- Oui oui, vas-y, ce que tu veux…

- Il s’agit d’un grand secret du clan de l’Ombre, que vous êtes priés de garder pour vous, d’accord ? En réalité, Simon n’est pas vraiment un homme… Simon est l’ombre de Rathure.

- Pardon ? »

A cet instant, Simon s’avança dans la relative lumière de la pièce, et tous purent voir qu’il n’était effectivement pas humain. Il avait bien la forme et apparemment la consistance d’un homme, mais sa peau et ses vêtements étaient d’un noir fumeux – comme celle d’une ombre justement. La tête basse, l’ombre de Rathure ne semblait pas vraiment à son aise.

« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Lâcha Felouis.

- Chaque membre du clan de l’Ombre possède le pouvoir de se séparer de son ombre et de lui conférer une part de sa personnalité afin de la doter d’une volonté propre. Rathure lui a donné un caractère soumis afin qu’il s’occupe bien de sa maison quand il s’en va, mais il est un peu sagouin alors Simon a des sursauts de révolte parfois… Enfin bref, je suppose que c’est toi qui nous a sauvés Simon ?

- Oui, répondit ce dernier d’un ton un peu plus assuré. J’ai invoqué des ombres afin de vous soustraire au regard de Maliboulé et je vous ai emmené ici. Nous les ombres ne sommes pas affectés par son pouvoir, mais sommes incapables de le blesser d’une quelconque manière. Nous nous contentons de sauver ce qui peut l’être. »

A y bien observer, Simon avait effectivement la même haute stature que Rathure, la même coupe de cheveux ébouriffée, le même nez droit, la même voix… Ils durent bien admettre qu’Olvin disait vrai.

« Que fait-on à présent ? Demanda Louig. C’est bien joli toute cette histoire d’ombre, mais ça n’arrange pas vraiment nos affaires. Maliboulé nous a complètement lattés.

- Nous ne pouvons l’affronter de face, intervint Clémentus, toujours un peu pâle. Il va falloir trouver un autre moyen de dénicher le Chat.

- Si seulement Rathure était là, soupira Olvin, il pourrait peut être le contacter.

- Et les habitants de Ta Volana ? Demanda Louig.

- Ils ne nous aideront pas. Vous avez vu Simoris ? Ils ont l’air de s’en moquer.

- C’est normal ! Intervint Simon avant de se recroqueviller de nouveau sous le poids des regards qui s’étaient tournés vers lui. Ils… les habitants de la cité ont déversé la majorité de leur personnalité dans leurs ombres pour les rendre plus puissantes et leur permettre de protéger le Chat. Ils n’ont presque plus d’émotions.

- Voilà donc la raison pour laquelle elle était insensible à mon charme ravageur, entendirent-ils tous Olvin murmurer.

- Je crois que j’ai une idée, fit Louig.

- Un idée de Louig, préparez vos fesses, marmonna Felouis.

- Le principe, c’est que Maliboulé ne trouve pas le Chat c’est ça ? S’il pointe le nez ailleurs, est-ce que le Chat pourrait s’enfuir ?

- Jamais il ne se laissera distraire, dit Simon d’un ton dépité. Il est bien trop concentré sur cet unique objectif.

- Ne sous-estime pas notre capacité de show, sourit Louig. Approchez-vous, je vais vous expliquer mon plan… »

Maliboulé en avait un peu marre de son travail. Faire vomir des gens, les tuer et les manger, voilà qui était amusant : mais depuis hier, il n’avait réussi à attraper personnes. Ces cochonneries d’ombres allaient et venaient, soustrayant ses proies à sa vindicte, et surtout celui qu’il recherchait par dessus tout, l’Elémentaire d’Ombre. Cependant, à force de ramper dans la cité en humant les humeurs que ses habitants malades y laissaient, son odorat avait gagné en acuité, et il commençait à pouvoir identifier l’odeur ténue mais présente de magie de l’Ombre que les ombres laissaient derrière elles. Encore quelques heures, et il serait capable de retrouver ce satané Elémentaire. Ce n’était qu’une question de temps.

Une lumière soudaine frappa ses yeux, l’aveuglant temporairement : instinctivement, il abaissa ses paupières protectrices qui l’immunisaient aux flash, et tourna sa monstrueuse tête vers la source de lumière. Si un dragon en avait été capable, il serait resté bouche bée.

Une colline dénudée d’une taille respectable était en train de pousser au centré de la cité, recouverte de glace et de neige, auréolée d’un cercle de feu dont les flammèches crépitaient avec fracas, répandant alentour une lumière aveuglante. Au sommet de la colline qui s’élevait de plus en plus haut, se tenait un humain vêtu de blanc et de bleu, figé dans une posture étrange, les flammes au-dessus de lui lui conférant un air mystérieux et maléfique. Alors que Maliboulé concentrait son regard sur le phénomène sans cependant y consacrer son odorat (qui cherchait toujours l’Elémentaire), le petit humain se mit alors à chanter d’une voix magiquement amplifiée :

« Libérééééééééé, DELIVREEEEEE ! »

Et, soudain, il se jeta en avant et se mit à dévaler la colline (qui avait à présent dépassé la taille de Maliboulé) à toute vitesse, perché des deux jambes sur deux bouts de bois plats. Les flammes plongèrent à sa suite, l’encerclant d’acrobaties incroyables, sans jamais le toucher ou faire fondre la neige cependant. Alors que Maliboulé commençait à penser qu’on se foutait carrément de sa gueule, l’humain fit un bond sur lui-même, toujours en chantant de sa voix tonitruante, exécuta un triple salto arrière vrillé, et atterrit sur le dos d’un lapin qui venait d’émerger du sol juste sous ses pieds. Avec un grand éclat de rire, le petit humain lui fit un geste de la main d’une insolence rare et talonna son lapin qui se mit à galoper en direction du bas de la colline. Toujours suivi par les flammes qui avaient à présent pris la forme de mini-dragons qui dansaient.

Maliboulé vit rouge. Avec un rugissement de rage, il se précipita en avant et percuta la colline de plein fouet : elle trembla, vacilla, et chut sur le côté avec lenteur. Furieux qu’on se moque de lui, Maliboulé poussa son sifflement haineux et les cratères de son corps s’ouvrirent en grand, déversant des litres et des litres de ce liquide qui faisait de lui un si dangereux adversaire. Pourtant, devant lui, l’humain continuait de cavaler, apparemment insensible à son attaque. Le dragon comprit que les flammes devaient assainir l’air des effluves de son gaz de nausée. Et bien tant pis : il l’attraperait entre frétillant, la chasse n’en serait que plus excitante.

Tous ses sens concentrés sur la petite silhouette qui filait comme le vent devant lui, Maliboulé déploya ses immenses ailes parcheminées qui craquèrent en s’étendant dans le ciel, et prit son envol. En quelques instants, il l’aurait rattrapé, ce misérable insecte qui s’éloignait à présent de la ville. Déjà, il planait juste au-dessus de lui, lui piquait dessus, et son ombre le recouvrait tout entier… Ce fut à cet instant qu’il disparut. Surpris, Maliboulé bloqua son piqué, manquant de peu de s’affaler au sol comme un cachalot qui se serait essayé au vol. Vert de rage, il examina le sol herbeux du plateau où, quelques secondes plus tôt, sa proie se tenait à sa merci. Il n’y avait rien. Reprenant ses esprits, Maliboulé comprit qu’on s’était moqué de lui. Et, comme son odorat lui revenait, il comprit à l’absence de l’odeur qu’il guettait depuis des jours dans la cité, à quel point on s’était joué de lui.