Bonus de Noël

Dec 23, 2014

Les Origines

Un an plus tôt…

Le ciel d’un bleu cobalt s’étendait où que porte la vue comme un large trait de pinceau au-dessus de la vallée enneigée. Niché entre deux montagnes qui s’élevaient froidement vers la lune, le petit village de Cyber semblait comme enfoui dans une couverture de coton blanche. Comme un piètre écho de la nuée d’étoiles qui parsemaient le ciel, chacune des maisons était piquetée de petits points de lumières vacillantes et dorées que laissaient passer les fenêtres. C’était le soir de Welno, la date où était célébré la fête du roi des Dieux éponyme, célébration sacrée entre toutes : chacun des habitants du village était installé bien au chaud dans sa maison et faisait des offrandes à Welno, offrandes qu’il viendrait récupérer pendant la nuit en passant par la cheminée.

Ce jour là cependant, d’autres personnes avaient décidé de fêter le jour de Welno selon des coutumes différentes. Il était traditionnel chez les guildes d’envoyer chaque année l’apprenti officiel du maître élémentaire rencontrer ses confrères en un endroit neutre - une sorte de pâle reproduction de la réunion des maître qui avait lieu une fois tous les quatre ans au sein du mont Bicêtre. Le but avoué de ces réunions d’acolytes était de créer des liens entre les potentiels futurs maîtres, afin que les guildes restent toujours en contact, et que la trêve du chasseur soit respectée en toute circonstance.

Or donc, le lieu qui avait été choisi cette année était le village de Cyber, totalement inconscient de l’honneur qui lui avait été fait. A quelques mètres de la maison le plus au sud, trois silhouettes avançaient lentement, leurs pas laissant de profondes traces dans l’épais manteau de neige. Il s’agissait de Rathure, Olvin et Guipsy, arrivés ensembles dans l’après-midi, et qui se rendaient au lieu de rendez-vous : une petite cabane perdue dans la nuit, bien à l’écart du village en fête. Autour d’eux, la serpillière enchantée de Rathure courait en tout sens, excitée comme jamais, et faisait voler tout autour d’elle de véritables éruptions de neige et de glace. Olvin finit par s’en prendre un énorme échantillon en plein visage.

« Loin de moi l’idée de brider l’euphorie de Beeth, Rathure, dit-il en grimaçant et en essuyant son visage rougi par le froid, mais est-ce que tu pourrais envisager de lui dire de ne pas nous arroser de neige ?

- Beeth, vieille salope ! s’exclama Rathure. Va courir plus loin ! » Beeth poussa un aboiement joyeux et s’éloigna de quelques mètres. « Bon chien », fit Rathure avec un sourire attendri.

Derrière lui, Olvin et Guipsy échangèrent un regard et, d’un commun accord, étouffèrent leur fou rire dans l’oeuf. Il valait mieux éviter de se prendre des remarques de la part de Rathure. C’était une question de survie.

Ils finirent par arriver à la petite cabane, dans laquelle ils entrèrent. Elle était vide et froide.

« Où sont les autres ? demanda Guipsy. Moi qui croyait que nous étions en retard…

- Agalime sera en retard parce que c’est une femme, Felouis parce qu’il déteste la neige, Louig parce qu’il habite à deux pas d’ici et donc qu’il va partir au moment où il aurait dû arriver, et Clémentus parce qu’il aura oublié de manger et se sera évanoui sur le chemin. »

Olvin avait énuméré tout cela tranquillement, sans une once de doute, et Guipsy hocha la tête. Le pire, c’est qu’il avait sans doute raison. Les trois compères allèrent s’installer dans les fauteuils disposés autour de la petite pièce. La cheminée était éteinte ; il allait falloir attendre l’arrivée de Felouis pour disposer d’un peu de lumière et de chaleur. En attendant, ils se servirent tous trois une coupe de vin chaud qu’ils sirotèrent en silence - mais avec maintes grimaces de la part de Rathure qui aurait quand même largement préféré de la bière.

La porte s’ouvrit une première fois, et Clémentus apparut, chaudement vêtu et blanc comme un linge.

« Salut les amis ! dit-il d’une voix joyeuse tout en pénétrant dans la pièce. Vous allez rire, j’avais oublié de manger et je me suis évanoui sur le chemin. Heureusement qu’une nymphe des glaces passait par là et qu’elle m’a réanimé ! »

Les trois amis éclatèrent de rire et le saluèrent chaleureusement. Il était tellement courant que Clémentus passe à deux doigts de la mort pour avoir oublié de se sustenter qu’ils ne s’en étonnaient même plus aujourd’hui. Heureusement pour lui, le jeune homme possédait un lien surnaturel avec la nature, et des nymphes de toutes sortes venaient toujours à son secours.

La porte s’ouvrit une deuxième fois, et ce fut cette fois Agalime qui entra dans la pièce, impériale et un grand sourire plaqué sur ses lèvres.

« Bonsoir les gros tas de bois ! claironna-t-elle en entrant. J’espère que vous vous êtes bien couverts sinon demain vous aurez la toxoplasmose des glaces, et je ne vous le conseille pas.

- C’est sûr que je me la suis chopée », grommela Felouis qui venait juste derrière elle, enfoui sous une véritable montagne de fourrure, l’épée tirée et des petites flammes flottants autour de lui afin de le réchauffer.

Sitôt entré, Felouis embrasa la cheminée avec un peu plus d’enthousiasme que nécessaire, et tout le monde put soupirer de soulagement et retirer son manteau. Guipsy qui se tenait à la fenêtre fit signe aux autres.

« Je crois que Louig approche.

- YAAAAHOUUUUUU ! » retentit la voix de ce dernier à travers la fenêtre fermée.

Et en effet, on pouvait apercevoir Louig dévaler la montagne sur ses skis à toute allure. En quelques instants, ils avaient atteint le pieds de la montagne, et quelques secondes plus tard, Louig entrait dans la cabane, un grand sourire aux lèvres.

« Tiens, vous êtes déjà tous là ? C’est fou ! Il y a du vin ? »

Une fois donc que tous furent bien abreuvés, il fut temps de distribuer les offrandes officielles, selon un ordre ancestral établi des décennies auparavant - bien que légèrement modifié par la défection de la guilde du vent. Rathure le premier offrit à Clémentus une petite pierre d’un noir si profond qu’il semblait aspirer la lumière du feu.

« C’est un morceau de roche qu’on ne trouve qu’au sein de la butte lunaire, expliqua-t-il.i Il a la particularité d’être sensible aux flux d’éléments : en somme, il change de nature en fonction de la personne qui le tien, et dispose de pouvoirs intéressants. »

Et en effet, quand Clémentus s’en saisit, la pierre perdit sa teinte d’ombre pour devenir marron : des dizaines de petites pousses émergèrent de la surface pourtant solide de la pierre, la hérissant d’arbres touffus et miniatures. Clémentus remercia chaudement Rathure pour ce cadeau d’une valeur inestimable, et tous s’amusèrent à tenir la pierre dans leurs mains pour en tester les propriétés. A son tour, Clémentus plongea la main dans son sac et en sortit un adorable lapereau blanc qu’il tenait par la nuque et qui s’agitait en tous sens, apparemment affolé.

« Tiens, Louig, dit Clémentus en le lui tendant. C’est un bébé lapin géant que j’ai trouvé sur le chemin - sa mère avait été tuée. Dans un an, ce sera une excellente monture. »

Louig se saisit du petit animal avec une expression d’adoration et le gratta entre les oreilles. La petite bête se calma instantanément et si les lapins pouvaient ronronner, nul doute que la cabane aurait été envahie d’un puissant bruit de moteur.

« Je vais l’appeler Mr Lapineur, dit-il avec un grand sourire. A toi Guipsy à présent… »

Les offrandes se poursuivirent, rivalisant en superbe et en puissance. Guipsy reçut de Louig un khaviais, un biscuit confectionné par les fameux cuisiniers mages d’Arojen, les Juru Masak, dont l’ingestion stimule des parties bien choisies du cerveau grâce à des procédés magiques et alchimiques jalousement gardés par les Juru. Après l’avoir remercié, il offrit à Felouis un superbe assortiment d’outils alchimique en pierres précieuses. Agalime reçut un grimoire d’une valeur quasiment inestimable, du fait qu’il n’existait qu’en un seul exemplaire, et listant bon nombres de potions (composition et confection), utiles tant pour soigner quelqu’un que pour l’empoisonner. Elle-même y connaissait déjà un rayon dans ce domaine, mais ce grimoire complétait très efficacement ses connaissances en la matière.

Olvin reçut de la part d’Agalime un vêtement très spécial, tissé en fibres alchimiques, et capable de se modifier en fonction de ses désirs (dans une certaine mesure). Ravi, Olvin l’enfila de ce pas, et le vêtement pris instantanément la forme d’un caleçon rouge et blanc, laissant le reste de son anatomie nue, sous les sifflets de dérision (et peut être d’appréciation) de ses compagnons apprentis. Avec un sourire contrit, Olvin cligna des yeux et le vêtement se transforma en un somptueux habit bleu tissé d’or. Pour finir, il offrit à Rathure deux livres en pierre précieuse dont l’un invoquait l’illusion d’une femme nue, et l’autre celle d’un homme nu. « Idéal pour perturber tes ennemis, commenta Olvin tandis que Rathure (et le reste de l’assemblée) regardait l’homme et la femme bien proportionnés se déhancher devant eux.

- Oui, bien sûr, les ennemis », répondit Rathure en hochant la tête avec un sérieux tout à fait convaincant.

Sous le commandement de Agalime, ils firent ensuite les bénédicités en l’honneur de Welno, et mangèrent et burent jusqu’à n’en plus pouvoir. Ils n’étaient pas tous proches, mais pendant le jour de Welno, nul n’avait le droit d’entrer en conflit avec ses pairs, et encore moins pendant une réunion officielle au nom de leur guilde : aussi chacun d’entre eux profitait un maximum de ce temps de repos qui leur était accordé. Aucun d’entre eux ne se doutaient qu’ils se reverraient moins d’un an plus tard, à l’occasion d’une Quête aussi folle que désespérée…